Pourquoi la vie ? Pourquoi la mort ? Pourquoi ce mal de tête à faire vomir ?
Voilà ce qui passait actuellement par la tête de Benedict. Il était emmitouflé dans ses draps, complètement recouvert et surtout: complètement défait. La soirée d'hier avait été rude, très rude. Trop d'alcool, de lumières stroboscopiques, de jeux débiles. Il se souvenait vaguement avoir croisé quelques élèves, vaguement avoir tripoté une fille inconnue, vaguement s'être effondré sur un trottoir. Comment était-il rentré, un véritable mystère qui n'aurait jamais de réponse. Et maintenant le réveil sonnait, encore et encore, martelant son petit crâne.
Il mit un temps fou à se lever et à se laver. Heureusement il ne commençait à travailler qu'à 13h.
En sortant de la douche, une grimace sur le visage, il constata avec déplaisir que le stock de café était épuisé. Tant pis. Un petit tour dehors et il irait au Café. Il enfila un jean, un t-shirt et referma la porte derrière lui, les cheveux encore trempés puis prit la direction du Café.
Après quelques minutes de marche à l'air libre il avait.... Toujours une sale gueule.. Et envie de gerber. Mais le Café était en vue, il allait pouvoir s'asseoir et- plus de place. Le Café était bondé, ne restait que quelques chaises de ci, de là à des tables déjà occupé.
Merde. Saloperie de matinée à la con.
Tant pis. Hors de question qu'il aille autre part, il avait besoin de s'asseoir. Ben fit donc amstramgram sur les tables où il restait de la place et en choisit une.
Il s'assit d'abord et demanda ensuite :
▬ Ça dérange pas que je m’assois là ? Y a plus place et j'ai besoin de café. Je serais discret et gentil.
Et sur ces mots aussi rassurants que ceux d'un pervers en camionnette, il laissa sa tête tomber sur la table.
A son réveil ce matin-là, Lazare était d’incroyable bonne humeur.
C’est qu’il avait reçu la veille un message de la part d’un numéro inconnu lui donnant rendez-vous au Café du quartier de la Réjouissance pour affaires. Et autant dire que le fait de ne pas savoir qui était son correspondant rajoutait un léger piquant qui lui plaisait bien. Il avait répondu au message en confirmant le créneau horaire et n’avait pas eu de réponse depuis.
Après sa toilette matinale et vérification de sa messagerie, il quitta Secret Garden tout guilleret. Il avait hâte de savoir qui était son éventuel futur client.
Arrivé au Café avec une bonne demi-heure d’avance sur l’heure du rendez-vous, il s’installa en terrasse à une table ensoleillée et commanda de quoi manger un solide petit-déjeuner.
Les minutes défilant, les tables autour de lui se remplirent progressivement et bientôt le Café fut plein. Il passa le temps en détaillant les clients voisins, buvant de temps à autre une gorgée de son jus d’orange. Puis le temps devint long, et personne ne venait s’adresser à lui. Son client était en retard, et lui en était à un deuxième café.
Sa bonne humeur chutant progressivement, vint finalement le moment où – enfin – quelqu’un vint s’assoir à sa table. Lazare reconnut immédiatement en l’homme à mauvaise mine Benedict St. John, surveillant émérite de Secret Garden. Un sourire espiègle étira ses lèvres.
– Benedict St John, tiens donc, si je m’attendais à ça.
Enthousiasmé à l’idée qu’il s’agissait là de son client, il reprit son petit-déjeuner là où il l’avait laissé. Il alla droit au but :
– De combien avez-vous besoin ?
Du dos de sa petite cuillère, il cassa la coquille de son œuf à la coque sans accorder un regard de plus à son interlocuteur.
▬ Benedict St John, tiens donc, si je m’attendais à ça.
La voix sifflait dans les oreilles du pauvre Ben, complètement terrassé par son mal de crâne. Il leva lentement la tête en entendant son nom. Ah. Un grand soupir plus tard, il essayait de remettre un nom sur la tête du gamin en face de lui. Son cerveau était en compote. Une vrai compote, bouillie, dégoulinante, pleine de grumeaux. Il peinait à garder sa tête levée et il finit donc par la caler sur sa main. La lumière l'éblouissait. César peut-être ? Non. Un nom de famille en i... Hm... Calderi ? Civelli ? Cigari ? Balthazar Minelli ?
▬ De combien avez-vous besoin ?
Benedict souleva un sourcil circonspect. Qu'est-ce qu'il me chante l'oiseau là ? Et la serveuse elle fiche quoi putain ?
▬ Besoin de ... ? Combien de quoi ?
Il fit une grimace, la serveuse arrivait enfin vers lui. La lèvre retroussée, il la gratifia d'un regard assassin avant de commander un café plein de crème et de sucre, avec des croissants. 3 croissants. C'est bon les croissants. Son ventre gargouilla.
▬Hé ! Tu veux un autre truc avant qu'elle ne se barre ?
La serveuse fit une moue agacée. Benedict s'en foutait.
Estimant que son petit-déjeuner était déjà bien assez fourni – un jus d’orange, du café bien serré, un œuf à la coque et des mouillettes au jambon – Lazare refusa la proposition avec un sourire poli.
Il attendit que la serveuse eut terminé de noter la commande pour continuer :
– D’argent, bien sûr.
Tout sourire, il déplia la serviette en papier qu’il n’avait toujours pas touché jusque-là et l’accrocha au col de sa chemise – c’est que les tâches d’œuf sont toujours les plus difficiles à faire partir.
– Enfin si vous avez besoin d’autre chose, on peut en parler mais il faudra négocier.
Il trempa une première mouillette dans son œuf à la coque et mit quelques instants de plus que nécessaire pour la mettre en bouche, bien décidé à savourer ce petit-déjeuner. Lazare apprécia sa première bouchée et reporta son attention sur son interlocuteur.
Et faillit avaler de travers face au regard dubitatif de ce dernier.
Il prit le temps d’avaler une gorgée de café pour reprendre contenance avant de mettre les choses au clair :
– Ôtez-moi d’un doute. C’est bien vous qui m’avez envoyé un message hier soir en me donnant rendez-vous ici pour que je vous prête de l’argent ?
Lazare força un dernier sourire aimable, mais au fond de lui il sentait déjà que la saveur de son petit-déjeuner n’allait pas réussir à sauver sa matinée.
Ben reposa sa tête sur la table dès que la serveuse fut repartie. Il l'observa se déhancher entre les tables, l'air impassible. Un joli cul. Mais pas assez aimable. Et puis pas assez de charme en fait.... 4/10. Son attention se reporta sur le jeune homme en face de lui dès qu'il rouvrit la bouche pour parler. La tête entre les mains, les yeux plissés à cause de la luminosité, il affiché un air mi-perplexe, mi-blasé assez incroyable. Il restait figé, avec cette.. Grimace sur le visage, attendant que Messire Panzani veuille bien le regarder. Ah voilà. Il faillit s'étouffer.
▬ Ôtez-moi d’un doute. C’est bien vous qui m’avez envoyé un message hier soir en me donnant rendez-vous ici pour que je vous prête de l’argent ?
Benedict réussit à rester de marbre pendant environs une quinzaine de secondes avant de pouffer, puis d'éclater de rire, d'un rire franc. Il mima même l'essuyage d'une larme fictive. Puis il prit son temps son visage se figeait peu à peu dans une expression qui était tout sauf aimable.
▬ Lazare Alberigo. Voilà comment tu t'appelles - il fit craquer ses doigts - J'remettais plus ta tête. Et en parlant de tête - il désigna son visage - Tu remarqueras que je suis "surpris" voire "perplexe" actuellement.
Il haussa les épaules et s'adossa à la chaise, le regard toujours fixé sur le jeune homme.
▬ Ça t'arrives souvent de jouer au banquier de monopoly ?
Ben se gratta la tête. Il est où mon café putain ?
Lazare essaya de rester impassible lorsque St. John éclata de rire. Il sentit l’écarlate lui monter aux joues et il dût résister à l’envie irrépressible d’enfoncer un morceau de pain dans la bouche du surveillant pour le faire taire.
Rester calme. Voilà la clef pour sauver son programme détente petit-déjeuner au soleil. S’énerver de bon matin n’a jamais été quelque chose qu’il appréciait. Et pourtant il avait déjà l’appétit coupé.
– Ça t'arrives souvent de jouer au banquier de monopoly ?
Il détacha la serviette accrochée à son col d’un geste calme et maîtrisé et la reposa sur la table. Mais ses doigts pâles tremblaient, trahissant la colère qui grondait au fond de son ventre. Bien sûr, il était parfaitement au courant que Ben avait une réputation de sale con. Mais il ne s’y était jusqu’alors jamais vraiment frotté.
Et qu’il se fiche ainsi ouvertement de lui, ça le contrariait franchement.
– Et vous, ça vous arrive souvent d’imposer aux gens votre sale gueule de lendemain de soirée ? répliqua-t-il froidement.
Au diable le respect. Ben n’était pas dans ses fonctions et donc pas en mesure de lui faire perdre des points immédiatement.
C'était trop facile, trop facile. Ben observait le gamin e face de lui, un demi-sourire sur les lèvres. Ses doigts tremblaient, il tentait de se maîtriser tant bien que mal et Ben trouvait ça tout bonnement idiot. Il poussa un grand soupir. Seule la bouffe et le café l’intéressait. Seul sa tête qui tambourinait et cette lumière qui faisait briller les fentes bleues claires que laisser voir ses paupières.
▬ Et vous, ça vous arrive souvent d’imposer aux gens votre sale gueule de lendemain de soirée ? ▬ Et toi, ça t'arrives souvent de traiter des affaires d'argent avec des inconnus dont t'as jamais vu la tête ? Parce que si le type en face de toi a un don que t'as pas vu venir et qu'il te roule tu fais comment ? Et si tu te retrouves face à un gars qu'a qu'une envie, c'est d'emmener dans une ruelle sombre et te tripoter contre ton gré ?
La serveuse les interrompit dans leur merveilleuse discussion. Ben la gratifia d'un sourire reconnaissant. Il bu une gorgée de café et se mit à mâchonner un croissant. Son visage restait le même, n'exprimant rien d'autre qu'une extrême lassitude.
▬ J'vais manger et me barrer, j'm'excuserais pas de t'avoir contrarié.
Et c'était tout. Il continua de manger tranquillement.
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